vendredi 3 mai 2024
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Stéphane Harmand, DG Renault Trucks Algérie, à Carvision

Après l’inauguration de l’agent agréé Guelma Truck Service dans la région Est du pays,  Stéphane Harmand, Directeur général Renault Trucks Algérie a accordé un entretien au site carvision.dz où il s’est exprimé sur l’actualité du marché de l’automobile Algérien marquée par la publication des nouveaux cahiers des charges, dédiés à l’industrie et le commerce, mais également du développement du réseau de la marque et de ses ambitions sur le marché national.

Les nouveaux cahiers des charges relatifs à l’industrie et à la distribution sont enfin apparus. Comment les percevez-vous ?

Tout d’abord, laisser-moi vous dire que nous nous réjouissons de la publication de ces deux cahiers des charges après une longue période d’attente. Aujourd’hui, l’économie algérienne a fortement besoin de moyens de transport aussi bien les camions que les véhicules de tous types. Ce document était très attendu par l’ensemble des opérateurs économiques mais aussi par les citoyens. Après avoir pris connaissance de son contenu, je dois dire que nous nous inscrivons complètement dans la perspective de ce texte. Nous souscrivons à son contenu car nous percevons à travers son contenu une nouvelle dynamique particulièrement dans son aspect industriel qui met en avant l’identification et la valorisation de la sous-traitance locale, l’encouragement à l’émergence de partenariats avec des équipementiers internationaux dans la perspective de contribuer à la création d’une véritable industrie automobile. Pour nous, c’est une dynamique sur laquelle nous nous sommes inscrits depuis longtemps avec notre usine de Meftah (Wilaya de Blida). A ce titre, ce cahier des charges va permettre, du moins nous l’espérons, le redémarrage rapide de notre site de production.

Le marché étant à l’arrêt depuis plusieurs années, disposez-vous de statistiques ou du moins d’indicateurs vous permettant de chiffrer les besoins du marché, particulièrement sur votre segment d’activité ?  

Nous disposons de plusieurs indicateurs qui nous permettent d’identifier les besoins du marché à commencer par le parc roulant de notre marque, estimé à 10 000 véhicules. Il y a cinq (05) ans il était à un peu plus de 20 000 véhicules, ce qui veut dire que nous avons perdu 50% de notre parc roulant. La question que l’on peut se poser est de savoir combien de véhicules ont été remplacés sur les 10 000 que nous avons perdus. En raison de l’arrêt des importations, certains de nos clients ont dû se rabattre sur les camions chinois. Après quelques temps d’utilisation, la majorité d’entre eux a été déçue par la qualité des produits et l’absence d’un véritable réseau qui puisse prendre en charge les besoins en entretien et en pièces de rechange. Nos clients qui ont, par la force des choses, muté vers les marques chinoises, attendent avec impatience de pouvoir s’équiper chez les marques les plus sérieuses comme Renault Trucks ou MAN qui est un opérateur et un concurrent très sérieux. Nous observons également que le marché du poids lourds reste confiné à des volumes assez modestes, qui n’ont rien à voir avec celui du véhicule particulier. Nous estimons le marché des poids lourds, c’est-à-dire des véhicules de plus de 16 tonnes, à environ 5 000 unités par an. Si on va un peu plus bas dans le tonnage, on peut dire que le volume arrive à un peu plus de 10 000 unités/an. Notre segment de marché est situé à partir de 16 tonnes et plus, et ce segment pèse 5 000 unités/an, toutes marques confondues.  A l’époque où le marché était actif, c’est-à-dire dans les années 2014, 15 et 16, Renault Trucks détenait une part de marché de 50%. Notre usine de Meftah est calibrée pour produire 2 000 véhicules par an. Aujourd’hui, nous sommes en situation de pénurie en raison des évènements qui ont secoué l’activité automobile. Le parc roulant est vieillissant et a besoin de se renouveler. Mais voilà que d’autres facteurs viennent perturber davantage cette crise locale qui s’additionne à la pénurie mondiale provoquée d’abord par la pandémie, puis accentuée par la crise des semi-conducteurs et enfin par la guerre en Ukraine. Ces crises successives ont généré une baisse de la capacité de production chez les constructeurs, ainsi qu’une forte inflation sur les énergies et les composants automobiles. En conséquence, la demande mondiale en véhicules en général et en poids lourds en particulier, ne cesse d’augmenter alors que les capacités de production ne sont plus capables de répondre à cette demande. Sur le marché local, il va y avoir une demande très forte qui va certainement faire que le volume du marché pourra passer de 5 000 à 8000 pendant quelques années, le temps que le marché retrouve son équilibre.

Après Réseaux Poids Lourds et l’ensemble de votre réseau, remis aux standards de la marque, vous inaugurez Guelma Truck Service. Nous pouvons considérer que vous vous préparez au retour du marché par un développement réseau le plus étendu possible. Peut-on interpréter cela comme une manifestation de votre confiance envers le marché ?

Tout d’abord permettez-moi de vous rappeler que nous sommes en Algérie depuis très longtemps. Au contraire de nombreux concurrents qui ne sont plus là, comme Scania, DAF et d’autres qui ont choisi de partir dès l’arrêt des importations, nous, malgré l’arrêt de notre activité aussi bien industrielle que commerciale, nous avons maintenu notre présence en préservant les emplois de nos collaborateurs de l’usine de Meftah et celle du siège. Nous sommes là pour respecter nos engagements envers notre marché. Nos clients ont toujours besoin de faire entretenir et réparer leurs véhicules et nous restons à leur écoute pour les servir en assumant nos responsabilités avec une disponibilité de la pièce de rechange d’origine et une capacité réelle à réparer les véhicules commercialisés. Nous serons toujours là car nous considérons que nos clients méritent que l’on soit à la hauteur de la confiance qu’ils ont placé en nous. Aujourd’hui, nous considérons qu’avec ce nouveau cahier des charges, nous sommes bien partis pour retrouver notre activité industrielle dans une démarche gagnant-gagnant, comme l’ont signifié les autorités du pays.

En évoquant votre activité industrielle de votre usine de Meftah, considérez-vous qu’il existe réellement de véritables potentialités pour développer un réseau de sous-traitance locale qui viendrait fournir votre usine en pièces et autre composants ? 

Concrètement oui ! Nous avons initié cette démarche depuis plus de cinq ans avec un travail d’identification de sous-traitants avec qui nous pouvons nouer des partenariats. Nous avons une connaissance et une maitrise de ce domaine à la faveur de notre expérience centenaire. Ce travail nous l’avons fait dans de nombreux pays. Nous le reproduisons ici et il donne des résultats puisque nous mettons en œuvre un cahier des charges dans lequel nous mettons le curseur à un niveau élevé sur le plan de la qualité. Pas moins de 400 entreprises locales ont été recensées. Environ 80 d’entre elles sont capables ou seront capable, à court et moyen terme, de répondre à notre cahier des charges. Aujourd’hui, nous pouvons leur demander de nous fournir plusieurs composants qui seront montés sur les camions produits dans notre usine de Meftah.

Pouvez-vous nous citer le type de composants ou de pièces produites par ces entreprises locales et montés sur vos camions ?

Oui bien sûr ! je peux citer pour commencer les pneumatiques, les barres d’encastrement imposées par la réglementation algérienne, ces barres sont brevetées disposant de capacité d’absorption du choc conformes à nos exigences. Il y a également les radiateurs, les garde-boues, plusieurs éléments plastique, les pare-chocs, les batteries, les éléments d’optiques, les pare-brise, les spoilers, le câblage ou faisceaux, les éléments d’échappement, les amortisseurs, certains composants pour les boites de vitesses, les renforts de châssis, l’habillage cabine, l’insonorisation, la filtration, les caoutchoucs, les jantes de roues, diverses pièces moulées et des éléments de carrosserie. Aujourd’hui, nous sommes déjà sur un partenariat avec une vingtaine de fournisseurs de pièces et ce n’est qu’un début très encourageant. Après nous avons tous les fluides nécessaires au camion comme le refroidissement, de lave-glace, de pression, etc.…Le potentiel de développement de la sous-traitance locale est donc réel contrairement à ce que prétendent certains pour qui cela n’est qu’une vue de l’esprit.

Face à la problématique de la rentabilité conditionnée par des volumes minimaux très importants, est ce que, selon vous, ces entreprises locales peuvent prétendre à exporter leurs productions vers les sites de production de Renault Trucks installés à l’étranger ?

L’importance de la volumétrie dans la sous-traitance automobile est capitale. Cela les pouvoirs publics l’ont très bien compris, sachant que la véhicule particulier offre plus d’opportunités par rapport au camion, au vu de la différence énorme des volumes de production. Le nouveau cahier des charges prend en compte cette donne sans pour autant faire obligation aux constructeurs poids lourds des mêmes dispositions que celles concernant la voiture particulière. Nous sommes donc sur un ensemble de composants ne nécessitant pas des investissements aussi lourds que ceux destinés à produire pour le véhicule particulier comme par exemple l’installation d’un atelier d’emboutissage qui produirait les pièces de carrosserie. Pour répondre à votre question, il faut débuter par la production de composants ne nécessitant pas de très lourds investissements. Les sous-traitants locaux peuvent produire dans un premier temps pour l’usine pour laquelle ils fourniront des pièces de première monte, mais également pour le réseau de distribution. Ensuite, à un moment donné, il faudra que les plus compétitifs parmi ces sous-traitants, dont la qualité est irréprochable, puissent accéder à l’export vers nos sites de production installés dans d’autres pays. Cela me parait évident. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à partir du moment où ces opérateurs sont homologués par le groupe Volvo, ils pourront prétendre agir pour s’insérer dans la concurrence internationale pour fournir aussi bien les usines du groupe mais aussi accéder à d’autres secteurs, tels que l’aéronautique et autres.

Selon vous, quelle est la durée moyenne nécessaire pour homologuer une pièce ou un composant fourni par un sous-traitant local ?

Cela dépends de plusieurs facteurs. Nous avons étroitement travaillé avec la BSTPO (Bourse de Sous-Traitance et de Partenariat de l’Ouest) et la BASTP (Bourse Algérienne de Sous-Traitance et de Partenariat) sachant que ces organismes connaissent très bien les opérateurs du secteur. Cela nous a aidé à établir une première liste de 20 entreprises que nous avons retenues dans un premier temps, mais je suis sûr que d’autres vont nous rejoindre après leur remise à niveau. Ces 20 entreprises avait déjà acquis les fondamentaux, aussi bien en organisation, en formation, qu’en équipements. Cette base de départ va permettre à plusieurs d’entre eux de faire homologuer leurs produits dans des délais convenus. Ce qu’il faut savoir c’est que la durée des homologations diffère d’un composant à l’autre. Elle n’est pas la même pour toutes les pièces. Si on prend le cas de la batterie, qui est un composant qui peut être dangereux, et tenant compte du fait que nos camions peuvent être soumis à des variations de température extrêmes, les tests d’homologation seront alors longs et consistent en des essais routiers, en conditions réelles, aussi bien dans des pays froids que dans des pays chauds. Vous conviendrez avec moi que cela peut prendre entre huit à douze mois. Inversement, s’il s’agit d’une pièce métallique ou d’un échappement par exemple, cela peut aller beaucoup plus vite. Si l’on prend le cas d’Iris, ce dernier ne produit pas de pneus poids lourds. Il va donc lui falloir consentir des investissements dans la recherche et développement ainsi que dans les machines pour produire des pneumatiques dont nous aurons besoin. Dans ce cas précis, et si l’on rajoute le processus d’homologation, la mise sur le marché de pneus fabriqués en Algérie et spécifiquement destinés aux camions peut prendre quelques années. Cela étant, mon avis est que Iris, en tant qu’entreprise consciente des enjeux, va saisir cette opportunité qui va lui ouvrir l’accès vers de nouveaux marchés.

Pour finir cet entretien, j’aimerais savoir si les orientations du groupe Volvo vers la production d’une gamme de camions 100% électriques, ne va pas compromettre votre démarche sur des marchés comme le nôtre ?

C’est étonnant que vous me posiez une telle question parce que nous avons tenu une réunion à la fin du mois d’Octobre en Suède, sur ce sujet précis. Le grand patron du groupe, en présence de ses 200 Top-Exécutives, invités pour l’occasion, à bien spécifié qu’il y a un avenir pour le véhicule électrique mais également pour le véhicule thermique. Nous ne sommes donc pas du tout inquiets pour les prochaines années. Notre démarche se veut une réponse à la situation actuelle et elle tient également compte de l’avenir avec la mutation sur les véhicules électriques. Nous continuerons à avoir les deux. Cette transition énergétique que l’on constate dans le monde entier, ne va pas à la même vitesse dans tous les pays. Pour moi, la démarche écologique pour de nombreux pays comme l’Algérie, c’est dans un premier temps aller au-delà de la norme Euro3. Je constate par ailleurs que le cahier des charges interdit désormais les importations de motorisation diesel pour les véhicules de particuliers. Ce qui est un premier pas. Ce qui est sûr, c’est que nous en tant que constructeur, nous avons la capacité de fournir à chaque marché les produits qui lui correspondent le mieux.

Mourad Saâd, in carvision.dz